top of page

Les qualités associées à la vitesse

Dextérité et maîtrise technique,

     Jeux de mots et agilité intellectuelle,

         Exploit sportif...

             Nous admirons celui qui sait être rapide 

Nicolaï Rimski-Korsakov « Le vol du Bourdon », Interlude orchestral pour l’Opéra, Le Conte du tsar Saltan, 1899- 1900 

https://www.dailymotion.com/video/x111qdx

 

Eminem , « Rap God », 2013

 https://youtu.be/XbGs_qK2PQA

Durée de la chanson « Rap God »: 6 minutes 4 secondes, 1600 mots, 4,29 mots par seconde en moyenne (pointe de vitesse durant 15 secondes, 97 mots soit 6,46 mots à la seconde ...) 

 

Débat d’entre deux tours de l’élection présidentielle de 1988, opposant Jacques Chirac à François Mitterrand 

https://www.ina.fr/video/I04261065

 

 

 

 

 

Raymond Devos, « Où courent-ils? », 1999

Excusez-moi, je suis un peu essoufflé ! Je viens de traverser une ville où tout le monde courait...Je ne peux pas vous dire laquelle... je l'ai traversée en courant. Lorsque j'y suis entré, je marchais normalement, mais quand j'ai vu que tout le monde courait... je me suis mis à courir comme tout le monde sans raison ! À un moment je courais au coude à coude avec un monsieur... 

- Dites-moi... Pourquoi tous ces gens-là courent-ils comme des fous ?
- Parce qu'ils le sont ! Vous êtes dans une ville de fous ici... Vous n'êtes pas au courant ?
- Si, si, des bruits ont couru !
- Ils courent toujours !
- Qu'est-ce qui fait courir tous ces fous ?
- Tout! Tout! Il y en a qui courent au plus pressé. D'autres qui courent après les honneurs... Celui-ci court pour la gloire... Celui-là court à sa perte !
- Mais pourquoi courent-ils si vite ?
- Pour gagner du temps! Comme le temps, c'est de l'argent, plus ils courent vite, plus ils en gagnent!
- Mais où courent-ils?
- À la banque! Le temps de déposer l'argent qu'ils ont gagné sur un compte courant. Et ils repartent toujours courant, en gagner d'autre !
- Et le reste du temps ?
- Ils courent faire leurs courses au marché !
- Pourquoi font-ils leurs courses en courant ?
- Je vous l'ai dit, parce qu'ils sont fous !
- Ils pourraient tout aussi bien faire leur marché en marchant, tout en restant fous ! 

- On voit bien que vous ne les connaissez pas ! D'abord le fou n'aime pas la marche...
- Pourquoi ?
- Parce qu'il la rate !
- Pourtant, j'en vois un qui marche !?
- Oui, c'est un contestataire ! Il en avait assez de courir comme un fou, alors il a organisé une marche de protestation ! 

- Il n'a pas l'air d'être suivi ?
- Si, mais comme tous ceux qui le suivent courent, il est dépassé !
- Et vous, peut-on savoir ce que vous faîtes dans cette ville ?
- Oui ! Moi j'expédie les affaires courantes. Parce que même ici, les affaires ne marchent pas !
- Et où courez-vous là ?
- Je cours à la banque !
- Ah !... Pour y déposer votre argent ?
- Non ! Pour le retirer ! Moi je ne suis pas fou !
- Mais si vous n'êtes pas fou, pourquoi restez-vous dans une ville où tout le monde l'est ?
- Parce que j'y gagne un argent fou ! C'est moi le banquier ! 

Exploit et performance sportive:

Jean Echenoz, Courir (2008). 

Qui c'est, lui ? l'accueille-t-on sans aménité. Vous aussi, vous voulez courir ? Et vous sortez d'où ? On cherche son nom sur la liste, on ne le trouve pas. En l'inscrivant la veille, peut-être impressionné par les 14'25"8, le capitaine a oublié de reporter les corrections sur la liste destinée au starter. Mais quelques concurrents étrangers qui sont là ont déjà vu courir Émile, ils le reconnaissent, témoignent, on lui permet enfin de courir. 

Bon, ça va, bougonne le starter, ça va mais alors vous vous mettez là, derrière, au deuxième rang, dans ce couloir. Émile, cette fois, commence à en avoir marre et se permet de protester. Comme il s'efforce de prouver qu'il a droit à une place à la corde, les autres coureurs, solidaires, le soutiennent. Eux connaissent le parcours d'Émile, ils savent qu'il est très bon, qu'il fait partie de ceux qu'on place au bord. D'accord, grogne le starter avant de lever son pistolet. Allez, on y va. 

Comme Émile énervé par cet accueil choisit d'adopter dès le départ une très forte vitesse, il lui faut peu de temps pour se débarrasser de ses adversaires les plus puissants. Son allure est même telle qu'il a bientôt devancé d'un tour entier les derniers coureurs. Quatre-vingt mille spectateurs se lèvent alors en criant, d'un seul mouvement, car Émile leur donne un spectacle qu'ils n'avaient jamais vu : ayant déjà pris ce tour à tous ses adversaires, il entreprend maintenant de les dépasser à nouveau l'un après l'autre et, à mesure qu'eux accusent le coup et ralentissent, lui accélère encore de plus en plus. Bouche bée ou hurlante, éberlué par la performance autant que par cette manière de courir impossible, le public du stade n'en peut plus. Debout comme les autres, Larry Snider lui-même est effaré par ce style impur. Ce n'est pas normal, juge-t-il, ce n'est absolument pas normal. Ce type fait tout ce qu'il ne faut pas faire et il gagne. 

Plus que deux tours, vocifère l'annonceur émerveillé sur le passage d'Émile et, pour mieux le lui faire comprendre, il tend deux doigts vers lui au risque de lui crever les yeux. Dans les tribunes on jubile, on trépigne, on frémit, on s'exalte, toutes les unités militaires scandent son nom en chœur. Dernier tour, s'époumone l'annonceur hors de lui, nettement plus essoufflé qu'Émile lui-même, et le starter éperdu tire de joie un coup de pistolet en l'air cependant qu'Émile développe son train de plus en plus, accroît sans cesse la cadence de sa course bien que tous ses concurrents soient à présent tellement loin derrière lui. 

Quand il s'élance enfin sur la dernière ligne droite, le public est au bord de s'évanouir, puis quand il franchit le ruban les tribunes se mettent à mugir, les applaudissements semblent ne jamais devoir s'achever. Personne, car tout le monde s'en fout, ne songe à noter qu'il vient accessoirement de pulvériser le record tchécoslovaque. 

Et lui, Émile, pas fatigué pour un sou, se fendant d'un bon sourire, continue de trotter gentiment après l'arrivée, comme pour se remettre en forme après ce petit effort. Mais on ne le laisse pas faire longtemps, on se jette sur lui en l'accablant de questions, les uns l'habillent pour qu'il ait chaud, les autres le déshabillent pour mieux le voir, tous le photographient sur toutes ses faces, tous à la fois veulent lui dire qu'il vient de faire une chose invraisemblable. Son nom est alors peu connu hors des frontières de son pays, et les gens ont l'air de croire qu'il ne le connaît pas lui-même car on le lui répète sur tous les tons, comme pour l'en informer. Émile, on a compris comme il est simple et modeste, reste confus devant cette admiration qu'on lui témoigne de toutes parts. Il ne cesse d'assurer que non, que c'est très gentil à vous mais que vraiment non, qu'il n'est pas un coureur miraculeux, qu'il n'a été que cinquième aux championnats d'Europe. 

Mais le plus heureux de l'affaire, celui qui ressent la plus grande allégresse, c'est le porteur de pancarte humilié. Le cœur de Joe, en cet instant, est dilaté d'orgueil. Dans un moment, Émile va devoir prendre part au défilé final, sa médaille épinglée sur son haut de survêtement. Avant de le rejoindre, il aperçoit de loin son soldat américain, sa pancarte à la main, qui l'attend avec impatience et qui, fou de fierté, se jette sur lui dès qu'il peut. Juste un, crie-t-il en l'étreignant et riant au bord des larmes, juste un, juste un. Il le touche, le serre, le tripote, le pétrit, il est tellement content qu'il pourrait le battre. En marchant tout à l'heure devant Émile, dans le défilé, Joe va rayonner de triomphe et de félicité, se sachant à présent envié, jalousé par tous les autres porteurs de pancartes du monde. Juste un, nom de Dieu. 

Haruki Murakami, Autoportrait de l'auteur en coureur de fond (2007)

Je suis parvenu de la sorte, en endurant mille maux, aux alentours du kilomètre 75, et là, c'était comme si j'étais passé à travers quelque chose. Telle a été ma sensation. Je dis “passer à travers” faute d'une meilleure expression. Comme si mon corps était passé sans dommage au travers d'un mur en pierres. Je ne me souviens pas exactement à quel moment est intervenue cette traversée. Soudain, j'ai remarqué que j'étais déjà de l'autre côté. J'avais compris, sans l'ombre d'un doute, que j'étais passé au travers. Je ne comprenais pas très bien la logique ou la manière dont la chose s'était accomplie – j'étais simplement tout à fait persuadé de cette réalité : j'étais passé de l'autre côté. 

Après quoi, je n'ai plus eu besoin de penser. Ou plus précisément, il n'y avait plus aucune nécessité à ce que je me force, consciemment, à “penser à quelque chose”. Je n'avais qu'à me laisser entraîner par le courant et à le faire de manière automatique. Si je me laissais aller, quelque chose de puissant me pousserait vers l'avant, tout naturellement. 

Il est évident qu'effectuer une aussi longue course est éprouvant physiquement. Pourtant, à ce moment-là, l'épuisement n'était plus pour moi le problème majeur. Comme si, peut-être, en moi, il y avait eu une acceptation naturelle de cet état de fatigue extrême, devenue “normale”. Mes muscles n'étaient plus alors une assemblée révolutionnaire en pleine effervescence, on aurait dit qu'ils s'étaient adaptés à la situation, qu'ils avaient renoncé à se plaindre. Plus personne ne tapait sur la table, plus personne ne jetait son verre. Mes muscles acceptaient en silence l'épuisement, comme une phase historique inévitable, une conséquence de la révolution. Moi, j'étais transformé en une créature automobile, qui faisait tournoyer ses bras en rythme, d'avant en arrière, et dont les jambes se propulsaient vers l'avant, un pas après l'autre. Plus d'idées. Plus de pensées. Je me suis brusquement rendu compte que même la souffrance physique s'était évanouie. Ou peut-être s'était-elle fourrée dans un coin hors de vue, comme un vieux meuble dont on n'arrive pas à se débarrasser. C'est dans cet état, une fois accompli le “je suis passé de l'autre côté”, que je me suis mis à dépasser de nombreux coureurs. Après le contrôle du kilomètre (où il faut parvenir en moins de huit heures et quarante-cinq minutes sous peine d'être éliminé), un grand nombre d'autres participants, contrairement à moi, ont commencé à ralentir ou même ont renoncé à courir, se bornant à marcher. Dès lors, et jusqu'à la ligne d'arrivée, je crois en avoir doublé environ deux cents. Je suis sûr en tout cas d'en avoir dépassé au moins deux cents. Un ou deux seulement m'ont doublé. Si j'ai pu dénombrer ainsi les coureurs devant qui je passais, c'est parce que je n'avais rien d'autre à faire. Harassé, épuisé à l'extrême, non seulement j'avais totalement accepté cette condition, mais la réalité était que je pouvais encore courir, et que pour moi alors, c'était tout ce que j'avais à espérer du monde. 

Comme j'avançais en mode automatique, si l'on m'avait demandé de courir au-delà des cent kilomètres, j'aurais peut-être pu le faire. Cela semblera étrange, pourtant, vers la fin du parcours, non seulement la souffrance physique n'existait plus, mais encore les notions de qui j'étais et de ce que je faisais avaient plus ou moins disparu de ma compréhension. Cette impression aurait pu me sembler tout à fait folle, mais non, j'étais incapable même d'éprouver comme bizarre cette extrême bizarrerie. Car, en courant, j'avais alors pénétré sur le territoire de la métaphysique. D'abord, il y avait eu l'acte de courir, et comme un accompagnement, cet existant qui était “moi”. Je cours, donc je suis. 

 

 

 

 

Photographie AFP « Usain Bolt crosses the finish line to win the men's 100m final at the athletics event during the Olympic Games », London 2012. 

Bolt .png
bottom of page